Interview de M. Feunteun par les 5B

métier - arts et sciences - avenir

Présentation de votre métier, de vos recherches :

1- En quelques mots, pouvez-vous nous présenter votre métier ?

Je suis professeur du Muséum National d’Histoire Naturelle en écologie marine et migrations chez les poissons. Je suis un enseignant chercheur. Je consacre une partie de mon temps à étudier écosystèmes marins et une partie de mon temps à l’enseignement supérieur. Je dirige des étudiants en thèse (ils préparent un doctorat en sciences écologique) et en master1 et master 2. Mes recherches me conduisent à effectuer de nombreuses missions en mer et en plongée, autour de la côte d’Emeraude, dans les rivières de France et d’Europe, mais aussi à l’étranger (Pacifique Sud et Océan Indien).

2- Pourquoi avoir choisi d’étudier l’anguille ?

L’anguille est un merveilleux poisson, à la réputation assez controversée. Certains la considèrent comme répugnante, d’autres comme merveilleuse. Pour moi c’est une magnifique espèce, un grand migrateur qui nait en mer des Sargasses à plus de 6000 km des côtes européennes. Les œufs pondus à 200 m de profondeur donnent naissance à la larve aplatie latéralement comme une feuille de saule, transparente, avec une grande bouche. Elles sont transportées par les courants marins, notamment le fameux Gulf Stream, vers l’Europe, et les pays Méditerranéens. Le voyage dure 1 à 2 ans. La larve dite leptocéphale (photo du haut) se transforme ensuite en civelle transparente qui colonise les cours d’eau. Elle devient anguillette (petite anguille) puis anguille qui passera entre 5 et 40 ans en rivière, estuaire et lagunes pour manger, grandir et grossir. A une taille de 35 à 45 cm pour les mâles et 45 cm à 120 cm pour les femelles, les anguilles se préparent à retourner en mer pour se reproduire. Elles partent alors pour le grand voyage. Par une nuit d’automne ou d’hiver, pluvieuse elles dévalent, jusqu’en mer. Puis là elles entreprennent un long périple par 200 à 1000 m de fond, profond le jour pour ne pas être vues par les prédateurs (orques, globicéphales). Au bout de 6 mois à un an, elles atteignent la mer des Sargasses où elles se reproduisent et meurent.

C’est un poisson merveilleux, qui allie les sources des rivières, les fleuves et les estuaires aux milieux marins. On connait très mal le cycle biologique puisque la zone de ponte n’est pas connue avec certitude. On se demande comment elles parviennent à naviguer, à se repérer dans l’océan immense… Elles sont apparues il y a 70 millions d’années, bien avant la disparition des dinosaures. Leur cycle biologique hors du commun leur a permis de traverser les temps géologiques alors que d’autres espèces sont apparues ou ont disparu.

Aujourd’hui, son abondance décline depuis la fin des années 70. Ses effectifs se raréfient dans toutes les rivières. Surtout à causes des activités humaines, qui déversent des polluants que nous utilisons tous (pesticides de l’agriculture, plastifiants, métaux tels que ceux qui composent les batteries de nos smartphones et l’électronique, médicaments, …). Construction de barrages pour irriguer les champs, fournir de l’eau potable, produire de l’électricité… pêche et surpêche (mais ce n’est pas la principale cause), modification des courants marins à cause du réchauffement de la planète, qui perdent nos jeunes anguilles en mer, micro-plastiques…

Alors l’étude de l’anguille est pour moi une passion depuis mon plus jeune âge, je cherche à comprendre son cycle biologique de la rivière à la mer et de la mer à la rivière, et à trouver les moyens de sauver cette espèce qui symbolise les cycles de la vie et la capacité de l’homme à vivre en harmonie avec la nature.

3- Est-ce que les micro-plastiques impactent la vie des anguilles ?

Oui les micro-plastiques impactent les anguilles, notamment durant la phase larvaire. Les leptocéphales se nourrissent de « neige marine ». La neige marine est composée du plancton en décomposition, auquel peut s’agglomérer les micro-plastiques. S’il y a beaucoup de micro-plastiques dans la neige marine, les leptocéphales mangent à leur faim en apparence, mais elles maigrissent, parce qu’en réalité, le plastique ne fait pas vraiment grossir et peut même être toxique !

4- Trouve-t-on des micro-plastiques au fond des océans ?

Pas beaucoup au fond de l’océan car la plupart des plastiques sont légers. Donc c’est surtout en surface qu’on les retrouve. Pour autant certains plastiques sont lourds, comme ceux qui composent les filets de pêche ou les casiers. Et on peut retrouver au fond de la mer. Ils finissent par se dégrader… sous forme de micro-plastiques

5- Avez-vous eu l’occasion d’étudier le continent de plastique ?

Non, mais je sais que la cocentration en micro-plastiques est très élevée dans la mer des Sargasses où se reproduisent les anguilles. C’est une zone de « convergence des courants » où se concentrent les corps flottants vivants (comme les Sargasses qui sont des algues) et inertes (comme les plastiques).

Le lien entre les arts et les sciences :

6-Avez-vous déjà travaillé/collaboré avec des artistes ?

Oui, avec des metteurs en scène de théâtre, avec une danseuse.

7- Quelle musique/chanson vous évoque le mieux la mer ?

  • La mer, de Charles Trénet
  • Molène de Skiban
  • C’est pas l’homme qui prend la mer de Renaud
  • Le hollandais volant de Richard Wagner

8- Quel est votre film préféré à propos de la mer ?

Océans de Perrin

9- Quel est votre tableau préféré représentant la mer ?

Pas un tableau, mais un artiste : Marin Marie

10- Quel livre racontant la mer nous conseilleriez-vous ?

  • Le vieil homme et la mer de Ernest Hemingway
  • Hé la mer monte de Eric Chaumillon

Projetons-nous dans le futur :

11- Dans le futur, y-aura-t-il encore des anguilles ?

Oui… Si l’homme y prend un peu garde. Les plans de gestion de l’anguille déployés pour l’anguille européenne, américaine, japonaise et d’autres encore, pourront peut-être y contribuer. Il faut que nous prenions conscience de nos gestes quotidiens sur les milieux aquatiques et l’anguille !

Par exemple consommer le moins d’eau possible pour en laisser le plus possible aux rivières et pour construire moins de barrages, consommer moins de jeux électroniques, de téléphones qui produisent de nombreux polluants, consommer local et bio pour déverser moins de pesticides qui sont tous des poisons mortels qui se retrouvent toujours dans l’eau, limiter les réseaux (Facebook, Instagram, Tweeter) et les films en ligne (YouTube, Netflix par exemple) qui sont parmi les plus gros consommateurs d’électricité actuels. Plus d’électricité, plus de barrages, d’éoliennes, de centrales électriques qui bloquent les rivières et empêche les poissons de migrer, les polluent directement (pétrole, déchets radio-actifs, métaux, PCB) ou indirectement (industries pour fabriquer les centrales électriques sont très polluantes). Enfin, c’est à vous de convaincre vos parents et les décideurs politiques de l’urgence d’agir en faveur de l’environnement.

12- Pensez-vous qu’il reste encore beaucoup d’espèces à découvrir dans les fonds marins ?

Des millions. Plus les espèces sont petites et moins elles sont connues. Dans ma carrière j’ai participé à la description de 7 espèces de poissons et d’une crevette (elle s’appelle Macrobrachium feunteuni) inconnus de la science. Il y a aujourd’hui 27000 espèces de poissons décrits, et on en découvre tous les ans de nouvelles… Pour les mollusques, crustacés et éponges, on en découvre des centaines de nouvelles par an.

13- Est-ce vrai : « En 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons dans l’océan » ?

Euh… Je pense que c’est une formule de communication… très pessimiste… Mais qui évoque bien le fait que si on n’y fait rien, la pollution va s’amplifier et impacter de plus en plus fortement nos océans.

14- A l’avenir, est-il envisageable qu’une ville côtière comme Dinard devienne une cité engloutie comme Atlantide ?

Il faut savoir que le niveau des océans était 120m plus bas il y a 6000 ans. On pouvait alors aller à pied à Jersey.

Les scientifiques estiment que la mer pourrait monter de 20m si tous les glaciers fondaient (pôle nord et pôle sud). Dans ce cas Dinard serait immergé.

Mais c’est loin d’être une hypothèse plausible car on estime que la mer montera de 20 cm d’ici à la fin du siècle. Donc Dinard pourrait être préservé ! En revanche les évènements extrêmes vont se multiplier et les tempêtes importantes, les surcotes (niveaux des hautes mers plus élevées qu’attendu) de 1 à 2m vont se multiplier. Aussi des zones comme les polders de la baie du Mont Saint Michel, de Châteauneuf, de Ploubalay risquent fort d’être impactés… On s’y prépare… IL ne faut plus construire dans les zones inondables. La catastrophe liée à la tempête Xintia de 2010 nous montre clairement le risque que l’on encourt.

Les efforts pour ralentir le réchauffement climatique pourront, on l’espère, limiter la fonte des glaciers. C’est à vous de faire en sortes que les ainés, puis vous même dans quelques années, prennent conscience du risque et des efforts à consentir pour préserver notre planète et la transmettre en bon état aux générations futures et à toute la biosphère.

Rappelez-vous bien que la planète et les océans n’appartiennent pas à l’homme, mais que nous en faisons partie. Alors nous devons être plein de respect et d’humilité en faisant attention à ne pas trop impacter notre environnement et la mer.

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